
Avant d’être à cet emplacement, le Musée de la Céramique faisait partie du Musée des beaux Arts et cet endroit abritait le Musée des Antiquités. Sa position ici existe depuis 40 ans et en ce jour, c’est l’anniversaire des 160 ans du musée crée en 1864.

Le musée a une démarche de valorisation des collections. Pour cette exposition, des pièces encore jamais montrées sont présentées pour la première fois. Habituellement dissimulées dans les réserves à cause de leur condition, cet anniversaire a motivé leur sortie au grand jour. Chaque objet mérite d’être exposé.

Depuis l’année dernière, le musée est repensé, reconfiguré et après un an et demi de réflexion, cette action prend fin au même moment. Auparavant au premier étage, les expositions se déroulent au rez-de-chaussée.
Présentation de la première salle

De superbes boiseries nous entourent représentant un herbier, des fruits, des plantes et une présence humaine qu’il faut apparemment trouver. Ces boiseries datent du 17e siècle, miraculeusement retrouvées et rachetées par la ville pour être installées dans cette salle.

L’un des chefs-d’œuvre du musée est également présent ici. Un fragment du pavement provenant de la bâtie d’Urfé (https://www.batiedurfe.fr/jcms/lw_1395657/fr/accueil), une demeure près de Saint-Etienne qui appartenait au père d’Honoré d’Urfé connu pour son œuvre, l’Astrée. Astrée, fille-étoile, est dans la mythologie grecque une divinité allégorique de la Justice et l’origine de la constellation de la Vierge.
Celui-ci a demandé, au 16e siècle, les services d’un des plus grands décorateurs de l’époque, rouennais d’origine, une réalisation signée l’atelier de Masséot Abaquesne. Il s’agit d’un pionnier de la faïence qui se développe à la fin du 17e siècle à Rouen. Cet artisan décore les plus belles demeures royales et ses talents sont reconnus.
En 1874, voilà que la bâtie d’Urfé et son décor sont complètement démantelés et dispersés dans plusieurs collections publiques et privées. Par chance, le Musée de la Céramique dispose de l’un de ces morceaux qui permet de se faire une idée de l’ensemble.

Au fond, on aperçoit une statuette d’enfant dont il manque une partie de son anatomie masculine. Deux raisons à cela, ce qui dépasse est souvent ce qui est cassé et quelques fois, cette zone est brisée pour des raisons morales ou politiques. Un cartel l’accompagne.
La visite se poursuit salle suivante

Une question est posée : qu’est-ce que la céramique ?
La céramique est un terme générique désignant une terre argileuse modelable qui va subir une cuisson.
Une première cuisson dite de dégourdi puis on procède à la décoration et on cuit une seconde fois. Dans le cas de la dorure, le décor se fait après la cuisson et parfois plusieurs cuissons sont nécessaires pour une seule pièce.
A Rouen, la faïence est majoritaire. Tout est aussi question de composition de la terre, de température et de type de cuisson.
Citons également le grès et la porcelaine. Inventée par les chinois au 4e siècle de notre ère, la porcelaine a été découverte très tardivement, au 18e siècle en Europe. Le cao, terre très blanche, est le composant de la porcelaine.
Cette terre est décorée, décor à petit ou grand feu, elle peut être aussi émaillée, vernissée. A faible cuisson, 800 degrés, on appelle cela de la terre cuite, une méthode utilisée, par exemple, pour les pots de fleurs. La porcelaine, au contraire, est cuite à des températures élevées, entre 1300 et 1350 degrés.
Une terre qui est cuite est fragile et les incidents sont vite arrivés.
Dans un four, plusieurs céramiques sont cuites, un petit étagement est prévu. Il peut arriver que celui-ci s’effondre et que les céramiques s’effondrent sur elles-mêmes, le tout cuit dans cet état, ce qui crée un amas de céramique, un mouton. On devine qu’il s’agissait d’assiettes.

Nous avons là aussi , un réchaud en porcelaine de Meissen, décor doré et rose. A l’arrière, une fente est visible. Malgré tout le temps et l’énergie consacrés à une pièce, à la cuisson, elle peut se fissurer et les efforts fournis sont ainsi gâchés. Un objet qui sera soit invendable ou au rabais, c’est une déception pour les potiers et les manufactures. En raison de leur coût certain, elles peuvent être conservées.

Pourquoi se fissurent elles ?
La terre a été mal travaillée, pas assez séchée, l‘humidité restante était trop importante. Toutes les bulles d’air n’ont pas été enlevées, l’étape qui consiste à frapper la terre a été mal exécutée. Cela peut être un accident de cuisson, les hasards surviennent.
Une autre pièce, une assiette, présente un halot au centre et sur les bords. Le pigment vert était, pendant longtemps, difficile à obtenir et à maîtriser. le bleu de Rouen est, en revanche, bien réalisé. Le vert a donc fusé dans le reste de l’émail quittant les compartiments décoratifs qui lui étaient destinés.
Un grand plat, l’émail blanche est craquelée ce qu’on nomme tressaillage. L’émail a dû être mal préparée et le séchage insuffisant alors au moment de la cuisson et du refroidissement, celle-ci a craquelé.
Toutefois, les craquelures peuvent être un effet apprécié et recherché. En ce temps-là, ce n’était pas voulu et incontrôlé. Par son caractère exceptionnel, le plat a été conservé.
D’autres altérations sont possibles.
Sur un plat à barbe, des petites bulles apparaissent, comme du papier qui a gondolé, c’est l’émail.
Nous voyons deux veilleuses, une en forme de mangeoire à oiseaux et une petite maison qui peut contenir une bougie.

Le blanc de l’émail s’est retiré laissant des traces, comme de petits vers, c’est ce qu’on appelle le retirement. L’émail a mal adhéré à la terre et au moment de la cuisson, elle s’est rétractée, elle a coulé.
Lors de la réparation ou restauration d’une céramique, ces altérations sont laissées en l’état parce qu’elles font partie de l’histoire de l’objet.
Sur l’établi, on peut admirer des pièces de tous horizons, chinoises, françaises, rouennaises, en faïence, en porcelaine… Tous présentent des parties manquantes, cassées, brisées mais aussi des marques d’usure.

Tous sont des objets du quotidien qu’on manipule et qu’on peut casser par mégarde, par maladresse, par accident. Parfois, la céramique peut même casser en mille morceaux et il n’est pas possible de la réparer.
Un enseigne de marchand datant de la fin du 19e siècle ou du début du 20e siècle, prélevée du Musée des Beaux Arts est exposée ici. On peut y lire « Au Brise-Tout« .

Un homme au centre est entraîné par une colère dévastatrice renversant une table qui contenait de la faïence avec de la céramique présentée tombant et se brisant. Au loin, un chat qui prend la fuite, une chaise détruite et une femme effrayée. De nos jours, on y voit une scène violente.
A l’époque, la mentalité est différente et on y voit une autre signification. Il s’agit en fait d’un jeu de mot, une invitation à venir en magasin pour recoller les morceaux. A l’époque, l’usage voulait qu’on offre aux jeunes mariés un service de vaisselle et cela se faisait encore beaucoup au 20e siècle. La pratique s’est peu à peu perdue mais la céramique représentait l’union matrimoniale.
Ces céramiques sont-elles arrivées dans cet état au musée ou cassées par des prédécesseurs ? C’est un mystère. Leur conservation témoigne de leur importance. De plus, un bout permet d’en savoir plus sur l’objet, la terre utilisée, le décor et l’émail.
Une anecdote est à raconter, elle constitue un élément de réponse.
Entre 1818 et 1830, du temps où le Musée de la Céramique était installé aux Beaux Arts, une théière est cassée par Mr Barbet qui était pourtant un don de sa part, au moment de l’installation dans les salles et laissée en plan. Suite à cet abandon, il est parti. Le conservateur de l’époque a ramassé les morceaux et les a placé dans un sachet et celui-ci a été retrouvé dans une boîte et à l’occasion de cette exposition, cette petite théière a reçu une seconde chance. Chaque pièce renvoie à une histoire.

Une immense plaque commémorative est brisée. Sous l’administration de Mr Verdrel, l’ancien maire qui a donné son nom au square à proximité de là, elle célébrait les 10 ans du Musée de la Céramique en 1874. La collection a été formée par André Potier qui disposait de connaissances précieuse au sujet de l’histoire de la faïence à Rouen. Dans les années à venir, une restauration de la plaque est espérée.

Les fouilles archéologiques sont aussi l’occasion de trouver des fragments. Les tessons exposés ont été découvert par le docteur Fouquet pendant la seconde moitié du 19e siècle. Un médecin passionnés d’archéologie qui a effectué un voyage au Caire en Egypte et qui a collaboré avec les autorités locales. Il a ainsi retrouvé des caissons datant entre le 8e siècle et le 13e siècle témoignant des échanges techniques, artistiques et décoratifs dans toute cette zone de l’Afrique et de l’Asie de l’ouest.

Au centre trône un fond de coupe dont on devine le pied sur lequel elle reposait, tout le tour est absent. Les décors d’oiseaux qui y figurent témoignent de liens avec l’Asie de l’est.
Une autre collection est présentée, celle d’une passionnée qui a sillonné les plages de Bretagne pendant 30 ans et qui a ramassé des tessons, lustrés par le sable mais bien là.
Dernière salle, la visite touche à sa fin…

Les raisons qui motive la réparation peuvent être d’ordre sentimental ou financier.
Les familles aux faibles revenus n’avaient pas les moyens de racheter un plat neuf alors une réparation était nécessaire. Comme vu précédemment, les services à vaisselle étaient des cadeaux nuptiales. D’autres pouvaient réparer un objet parce qu’ils y tiennent.
Tout le long de cette visite guidée, une musique se fait entendre. Une chanson intitulée, Le raccommodeur de faïence, interprétée par Berthe Sylva en 1929.

Un tableau issu des Beaux Arts illustre bien cette chanson. Assi dans la nature avec des outils et des céramiques cassées, le raccommodeur, métier itinérant qui se développe au 17e siècle, est installé là. Il est en train de percer des trous pour y placer des agrafes qui permettront d’assembler les morceaux et d’ainsi réparer l’objet. C’est un travail qui contraint à se déplacer de ville en ville aux secours des familles qui sollicitent ces services. Ils ne sont pas qu’hommes puisqu’au 19e siècle, on a connaissance d’une raccommodeuse de faïence.

La colle est aussi largement utilisée, en témoignent les pièces exposées. La restauration à la truelle était répandue. A l’aide plâtre ou de colle, en user beaucoup, assembler les morceaux et finir en repassant sur le décor, retoucher les couleurs en partie effacées. Le résultat était grossier mais tenait la route pour quelques temps.

De nos jours, les méthodes ont changé pour rester en place dans la durée et corriger l’esthétisme. Les agrafes s’oxydent et rouillent et un élément métallique qui s’oxyde, gonfle et l’objet concerné peut casser à nouveau.
Entre 1960 et 1970, on commence à réfléchir sur la déontologie, devenue internationale, à appliquer.

La réalisation doit se faire par des professionnels agrées qui ont suivi une formation spécifique. En France, les deux principales écoles sont l’Institut National du Patrimoine et Paris Nord, La Sorbonne. Ces professionnels sont habilités à travailler sur les collections des Musées de France et emploient des matériaux doux pour les objets et une méthode réversible afin de laisser la possibilité de refaire les restaurations plus facilement. La réparation doit être visible, il faut éviter la fausseté, le public ne doit pas être trompé. C’est pourquoi on peut apercevoir des lignes discrètes qui montre le travail qui a été fait.

Les morceaux, nettoyées au préalable, doivent être recollées de manière subtiles sans toucher au décor. Les éléments de décor usés ne sont pas restitués, pas de réintégration picturale. Une dérestauration est aussi envisageable pour pallier à la mauvaise exécution précédente.

Un autre type de restauration existe, à la laque d’or. Il s’agit d’une technique traditionnelle japonaise appelée kintsugi qui est connue en Corée. L’objectif est de restaurer tout en sublimant les fissures. Un objet peut être cassé mais joli. Le kintsugi est d’ailleurs une philosophie que l’on retrouve en développement personnel. Même si on a un vécu difficile, il ne faut pas cacher ses épreuves mais les magnifier. Dans d’autres domaines encore, on peut la retrouver.

C’est une personne de l’équipe des musées ayant une formation de céramiste qui s’est plongé dans les techniques traditionnelles, utilisant les vrais matériaux dont l’usage se fait au Japon, pour restauré ce bol cassé par un chat qui passait par là et qui l’a renversé. Il faut saluer cette contribution exceptionnelle. Le graphiste de l’exposition était présent lors de l’exposition.
https://mbarouen.fr/fr/expositions/le-temps-des-collections-reconstruire




Laisser un commentaire