
A Rouen, au 186 rue Eau-de-Robec se trouve une petite galerie d’art contemporain représentée par David Fontaine. Ce soir-là à 18h45, un rendez-vous a été donné mais bien avant cette heure, nous étions plusieurs déjà présents.
Chaleureusement accueillis, les discussions amicales se sont faites spontanément dans la bonne humeur, tous avec le sourire. L’arrivée s’est d’emblée placée sous une bonne étoile qui a demeuré présente tout au long de ce moment de partage.

Les présentations faites et les premiers contacts établis, Michel Delaunay s’exprime alors à travers un exposé fort intéressant.
Le tableau ci-dessous a été réalisé par Jacopo de Barbari en 1495 et représente une démonstration du théorème d’Euclide où on aperçoit le volume d’Archimède.

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Pour en apprendre davantage, voyez le lien ci-dessus.
Le supra du diamant
Michel Delaunay débute son exposé comme suit : » Nous ne percevons pas le monde dans ce qu’il est en réalité. » et ajoute qu’au « moyen de l’esprit que nous voyons et au cerveau, les yeux ne sont qu’un réceptacle qui reçoit et transmet la part des choses difficiles qui parvient à l’inconscience. »
« La forme est-elle perçue ou pensée ? » nous demande-t-il ensuite. Pour Aristote, le lieu est défini en fonction d’un corps. En d’autre terme, l’espace se crée à partir du corps qui représente ce dernier. Le corps est un espace autour duquel il peut n’y avoir rien autour. Clément d’Alexandrie disait que « du centre de l’univers partent les étendues infinies de l’Orient à l’Occident. »
Le zénith et le nadir

Le nadir désigne selon Wikipédia, « le point de la sphère céleste représentatif de la direction verticale descendante. » En clair, le point le plus bas.
Pour situer les quatre faces, l’avenir et le passé en représentent deux, à droite et à gauche, deux autres, en ajoutant le haut et le bas, on obtient bien au final, les six faces du cube.
Parlons du rythme à l’intérieur du cube, au centre, on retrouve les axes, trois axes quaternaires et six axes binaires sur un plan symétrique.
Nous sommes basés sur un plan euclidien, un plan où toutes les lignes sont parfaitement droites, deux lignes parallèles ne se croisent jamais. Le plan euclidien tangente la sphère en un point. L’espace de la terre est méridien sur une surface sphérique en un point précis. Un espace qui fait référence aux quatre points cardinaux.
L’origine du cube vient de Platon. Ancien disciple de Socrate, c’est un philosophe rationaliste qui a fondé l’Académie. Il portait un intérêt aux cinq polyèdres les plaçant dans un espace donné et en ajoutant une planète, une matière et une tension. La matière est la Terre et la planète, Saturne.
Archytas de Tarente est l’architecte qui a conçu le cube à partir des connaissances de Platon et de ses cinq solides à savoir : le tétraèdre, le cube, l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre. Quant à Johannes Kepler il représente le monde en inscrivant les cinq polyèdres les uns dans les autres. La sphère circonscrit le cube dans lequel sont inclus les quatre autres polyèdres. Entre chaque polyèdre se situent des planètes.
D’ailleurs, passionné et désireux d’en savoir plus, Michel Delaunay a écrit un mémoire, « L’histoire des Polyèdres » en 1978 et en a compté au total quinze, normalement treize mais deux peuvent être doublés. Il a poursuivi ses recherches dans ce domaine, point de départ de ses créations. Il s’est également rendu à l’IHP (Institut Henri Poincaré) à l’Université de la Sorbonne à Paris pour étudier.
Le choix de ses créations et leur conception
Les cubes qu’il présente lors de son exposition sont ceux qui répondent au mieux à ses attentes.

Ce n’est pas la complexité de la forme qui l’intéresse mais l’intérieur mais la composition rythmée de la structure intérieure.
« On les retrouve aussi (ces polyèdres) dans les dessins de Léonard de Vinci » nous apprend-t-il.
Les dessins de Léonard de Vinci, présentant les cinq volumes platoniciens, illustrent la « Divine proportion » écrit par Luca Pacioli.
Le cube est une création et sans elle, pas d’espace. « Le monde est en expansion », dit-il. Le cube est à la fois une limite et un tout, le microcosme, l’infiniment petit et le macrocosme, l’infiniment grand.
Au regard de la structure des cristaux, on aperçoit la maille du point de départ qui se multiplie jusqu’à obtenir un objet visible à l’œil nu. Cela représente une unité et un ensemble, la pierre de l’édifice et l’édifice.
La vision de Copernic, un espace clos, fermé et restreint, s’oppose au point de vue de Giordano Bruno qui a lancé l’idée de l’infini. L’un voyait un héliocentrisme, c’est à dire qu’il croyait que le soleil était au centre de l’univers et que la terre tournait au centre de ce dernier et l’autre croyait en l’existence d’un univers infini dépourvu de centre comme de circonférence peuplé d’une « quantité innombrable d’astres et de mondes identiques au nôtre. » Une sphère où le centre est partout et la circonférence nulle part si on se réfère au proverbe de Pascal. Astronome, il voyait le monde dans des volumes.
La pensée de Giordano Bruno contestée par la religion de son époque, a été condamné à être brûlé vif après un long procès et des interrogatoires ; la torture ne lui a pas fait changer d’opinion. La liberté de pensée n’existait pas à cette époque ou du moins il était exclu d’avoir une opinion contraire à l’Eglise. Qu’en est-il aujourd’hui ? Une question qui ferait débat.
Le cube n’est pas conçu à partir d’un modèle vu mais tracé mathématiquement dans le but d’éviter la subjectivité empirique. Il privilégie donc l’objectivité. On est donc en présence d’une rationalisation de la vision, un procédé mathématique.
Binoculaire, on observe une ligne d’horizon, ligne imaginaire séparant éventuellement le haut et le bas, sans correspondre à la courbe de la terre, la ligne méridienne. Sur cette ligne, un point de fuite, une verticale et une horizontale ainsi que le point présent, une notion absolue. « On compte en revers et on y arrive pas, comme la vérité. »
Une ligne verticale précisant la position du spectateur, coupe l’horizontale en un point qui est la projection de l’œil à l’infini.
La ligne d’horizon comporte deux points de distance réelle ce qui permet le traçage les points en profondeur et créer l’espace et l’apparence des éléments qui le composent. On y voit une vision approchée de la troisième dimension sur un plan à deux dimensions. L’illusion se révèle et nos sens sont trompés.
Il s’agit d’une fenêtre, d’un carreau, d’une vitre. Derrière, on voit le monde, l’image qui s’y reflète est observable. Les volumes sont présentés sous un angle.
Des lignes partent sur un point vers la ligne d’horizon, des lignes fuyantes vers un autre point. Deux points dits de distance, en divisant en deux ces deux lignes permettent de retrouver le centre et le point de fuite projeté à l’infini. Des lignes descendent et se rejoignent en bas ce qui signifie qu’on est en présence d’un volume vu en plongée. En somme, on a donc trois points de fuite et trois lignes qui permettent de dessiner le volume en 3D.
Son œuvre contient des traits noirs matérialisées avec une épaisseur donnée parce que dans la nature, le trait n’existe pas, on imagine une limite qui n’est qu’illusion.
Le trait et l’épaisseur sont identiques et il joue sur leur écartement. On constate alors un équilibre entre le fond et la forme, le vide et le plein, un livre de François Cheng qui expose le langage pictural chinois. La ligne diminue en épaisseur en fonction de la profondeur ce qui donne l’illusion de cette dernière. Pour cela, il faut savoir être exacte dans les moindre détails, tout écart se verrait aussitôt et fausserait l’ensemble, le résultat final. « Il faut que ce soit parfaitement droit. »
Le volume ne contient pas d’ombre portée. « Il n’y a pas un côté plus foncé que l’autre. » Ces lignes créent un rythme comparable à une partition musicale. Un ordre est aussi recherché dans le chaos.
On remarque un côté méditatif et hypnotique ce qui permet de faire le vide et de se sentir bien.
« Il s’agit d’une ombre portée d’un volume qui serait là » éclairé par le soleil sur un plan d’eau et sur le support, cette ombre portée. » C’est une apparence donc un reflet, non la réalité. »
A cela s’ajoute, une ligne à 45° pour permettre de tracer des lignes en profondeur. Selon la formule de Nicolas de Cues , il fait coïncider les contraires en faisant revenir la planéité de la surface au sein de la profondeur.
Ses œuvres sont également convexes et concaves. Ce qu’on voit est la partie visible de la lune. Il conçoit ses travaux de telle manière qu’on puisse retourner le volume et se retrouver dans un creux qui est une partie intra. A l’intérieur se trouve l’histoire du volume et dans cet intra, on voit quatre côtés alors qu’il y en a six. Il a joué et triché avec l’informatique. L’orientation est telle que l’hexagone finit par disparaître et il trouble ainsi davantage son public. Il voudrait qu’on se questionne parce que nous n’avons pas tous la même vision du monde. L’orientation du cube concave peut présenter 4,5 ou 6 arêtes, ce qui perturbe davantage la compréhension du volume.
Le cube est toujours représenté comme un objet entier et saisissable.
Afin de rendre l’invisible visible, il conserve les zones qui correspondent aux écarts entre les lignes, matérialisant ainsi les zones invisibles. Etant dissociable, le cube peut être morcelé. Les parties cachées sont retirées. Il a enlevé les parties noires laissant les parties blanches apparentes qui sont en fait du vide pour matérialiser l’invisible. Il découpe le matériau pour laisser apparaître la forme tel un sculpteur.
Pour ce faire, il utilise plusieurs matériaux, le papier coupé au cutter, le plexiglass au laser, le métal au jet d’eau ou au laser, idem pour le bois qui peut aussi être découpé au fraiseur et enfin l’Alu-Dibond (deux fines plaques d’aluminium placées de chaque côté d’une plaque en plastique noir, un matériau utilisé par les photographes) découpé par ces mêmes procédés.
Les maintes significations à y trouver

Notons l’intérêt du chiffre 3. Ses sens sont multiples. Il peut définir le passé, le présent et l’avenir, la chenille, la chrysalide et le papillon, la Trinité, les trois énigmes du Sphinx qui sont : celui qui marchent à quatre pattes le matin, sur deux pattes le midi et sur trois pattes le soir. La réponse est l’Homme. Bébé, il marchent à quatre pattes, plus grand, il marche debout sur ses deux pieds, devenu âgé, il lui faut parfois s’aider d’une cane alors on dit qu’il marche à trois pattes.
Le labyrinthe, par exemple celui de la Cathédrale de Chartres, fait référence à une entrée et un seul chemin qui conduit au centre symbolisant la fin de notre parcours sur terre. L’élévation permet de voir le chemin parcouru sur celle-ci.
Le Dédale comporte plusieurs entrées qui permettent d’aller au centre et le fil d’Ariane constitue une aide précieuse afin de ne pas se perdre faute de quoi on pourrait s’y retrouver prisonnier avec pour compagnie le Minotaure à combattre, l’aventure de Thésée.
Aller à l’essentiel, tel est son intention, côtoyant l’abstraction géométrique dans une approche minimaliste, il reprend la formule emblématique de Mies van der Rohe : « Less is more ».
La couleur, à présent. On en dénombre trois, le blanc, le noir et le rouge.
Pour expliquer son choix, il cite la grotte de Lascaux dont les fresques ont été réalisées il y a 18000 ans avant Jésus Christ. Le noir est fait en charbon de bois sur un support blanc. Le rouge est obtenu par la terre contenant de l’oxyde de fer qui donne ce pigment rouge, l’hématite.
Les ombres portées sur une paroi font référence à une œuvre, La caverne de Platon, une allégorie exposée dans La République. Enchaînés et immobilisés, les prisonniers prennent pour réalité les ombres portées sur la paroi, refusant d’approcher la vérité éclairée par les rayons du soleil. Par ce biais, il souhaite illustrer les conditions d’accession de l’humanité à la connaissance du Bien au sens métaphorique du terme et à sa transmission. Cela soulève des questions de préjugés et d’ignorance.
Il invite à ne pas se fier aux apparences mais regarder le monde et observer la société, réfléchir et essayer de s’approcher au plus près de la vérité.
« L’apparence, loin d’être la vérité, est une métaphore de nous-même, représentation substituée de la réalité. » Poursuivant, » je donne figure à la venue de l’incommensurable dans la mesure et l’invisible dans la vision en mettant en perspective la profondeur fictive de l’espace représenté. »
Dans la mythologie, Narcisse s’est vu dans l’eau et est tombé amoureux de son reflet. Il faut garder à l’esprit que lorsqu’on se regarde dans un miroir, l’image est inversée.
Dans la nature, on retrouve le cube sous forme de cristal.
« Le point de fuite est un œil seulement », un point est une synthèse. L’être qui n’a qu’un œil est le cyclope.
Comme le jardin d’Eden, le fruit de ses recherches s’est trouvé au pied de l’arbre de l’émancipation. D’ailleurs, il y a un livre qui s’intitule, Le miroir, écrit par Hamdan Ben Aatman Khodja. Un miroir qui fait référence au mythe d’Orphée, un clin d’œil aussi à « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll et « De l’autre côté du miroir ».
« La lune ne fait que refléter les rayons du soleil. »
Quand Persée a tué la Méduse, son bouclier lui a servi de miroir sur lequel son reflet s’est reflété ce qui lui a évité de la regarder en face et lui a ainsi permis de la vaincre.
La cristallographie, étude de la structure de la matière cristalline à l’échelle atomique, le fascine. Dans la nature, certains cristaux sont parfaitement cubiques et Michel Delaunay trouve cela merveilleux à admirer. L’échelle de Mohs inventée en 1812 par le minéralogiste allemand Friedrich Mohs permet de mesurer la dureté des minéraux.
Son courant artistique

Ses créations suivent le courant artistique qui se nomme art concret, un mouvement apparu dans les années 1930. Théo Van Doesbourg a a mentionné l’Art concret dans son ouvrage, « Le Manifeste de l’Art Concret« .
Son langage est universel comme la musique. Cet artiste néerlandais expliquait : « Peinture concrète et non abstraite, parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface. »
« Il s’agit d’un art mesurable » et non objectif, c’est à dire une œuvre qui ne fait pas référence à la réalité. « La pensée mathématique est, en ce qui me concerne, un moyen » d’atteindre cet objectif, ajoute-t-il. Continuant, « L’Art concret s’oppose au sentimental », « il est une pure création de l’esprit. »
Par sa volonté de rationalisation du processus de création, il évite l’utilisation de la main sur le papier hormis ses croquis et privilégie la technologie de pointe pour la découpe.
Michel Delaunay termine son exposé par une question : « Comment la reconnaissance, au sens philosophique du terme, peut être attachée à la connaissance des choses telles qu’elles sont en elles-mêmes et non pas seulement telles qu’elles apparaissent? »
Il y fournit une réponse simple : « Les preuves de composition du cube deviennent les preuves de vérité, soit une image qui apparait comme un mode de connaissance et qui donne accès à la chose. Nous cherchons à savoir, ce n’est pas s’en tenir au phénomène apparent mais à chercher les causes et à déterminer les lois. »

Voilà en quarante minutes tout ce qu’il a été possible d’apprendre. Régulièrement, David Fontaine, le galeriste, organise des évènements ayant pour but de soutenir les artistes. A la sortie des Beaux Arts( esadhar) , les jeunes diplômés sont bien souvent livrés à eux-mêmes et il souhaite leur venir en aide en les découvrant afin de lancer leur carrière. Une belle initiative à encourager !
https://www.juste-une-impression.com/collaborations-arty



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