Comme c’est incroyable tout ce qu’on est capable de dire et de faire lorsqu’on ne croit pas quelqu’un !
Les formules sont nombreuses : « Tu inventes ! », « Si tu continues, je vais t’enfermer en hôpital psychiatrique parce que c’est de la folie, tu es malade ! », « Ce sont des souvenirs induits, tu te fais des films ! », « Ta mémoire a été altérée avec le temps. », « Je ne veux pas en parler. », « Vas te faire voir ! », » Tu délires ! », « Tu vas finir tout seul. », « Tu ne vois pas que tu saoules tout le monde avec tes histoires ? Tu es en boucle ! », liste non exhaustive.
Afin d’illustrer ces propos, prenons en exemple l’affaire Bétharram, un établissement catholique, qui occupe l’actualité en ce moment. Des victimes se sont exprimées, près de 200 plaintes ont été déposées après une quarantaine d’années de silence.
Alexandre Perez
« Il faut que le scandale éclate pour se rendre compte. » déplore t-il. Victime de voyeurisme, il évoque une forme d’impunité dont le surveillant, prédateur sexuel, a pu bénéficier injustement.
La loi du silence régnait et personne ne savait ce qui arrivait aux autres. Ce n’est que des années plus tard que chacun découvre l’histoire de l’autre.
Les victimes craignent que leurs plaintes fassent l’objet d’un classement sans suite, d’un non-lieu par le simple fait de la prescription.
> Que dit la loi?
« L’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers ; toutefois, s’il s’agit d’un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction.«
« Article 222-22-1 du code pénal, Modifié par LOI n°2021-478 du 21 avril 2021 – art. 2
La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci a sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.«
Outre la question de la prescription, la connaissance de la faute est à établir.
Alexandre Perez a conscience qu’il s’agit aussi d’une polémique politique mais il croit en la sincérité et la bonne foi de François Bayrou.
Olivier Bunel
« Le but était de casser les enfants. » dit-il.
Les externes ne subissaient pas autant de violences du fait qu’ils rentraient chez eux le soir et qu’il ne fallait pas que cela se sache.
Il se décrit comme un enfant gentil qui souriait tout le temps, ce qui a fait de lui une proie facile surtout que ses parents étaient absents.
Selon lui, son agresseur était un tyran, pervers et sadique. Tout lui était rapporté et la moindre chose était bonne pour procéder à des punitions.
« Il est interdit d’en parler à qui que ce soit, c’est notre secret. » le mettait en garde le surveillant. Sa grand mère, pieuse, le traitait de menteur. Il n’avait donc personne à qui en parler. A force d’être accusé de mentir, il a finit par y croire. Parler était fortement réprimandé, son besoin de justice est immense. Il prône une libération de la parole pour avancer.
Alain Esquerre, porte-parole des victimes
Il décrit les coupables comme des « prêtres agresseurs ».
Les enfants fuguaient souvent le mercredi. Rattrapés par le surveillant qui l’avait agressé la veille, la mère les ramène sur place, le vendredi ils reviennent à la maison. Le samedi, elle fait un courrier au médecin en indiquant que son fils se plaint de douleurs anales aiguës. Aucun examen clinique n’est effectué et une simple pommade est prescrite. Sidérée, la mère ne voit rien.
« Parfois, vous avez tous les éléments qui indiquent qu’il y a un gros souci. Quand vous ne voulez pas voir, vous ne voyez pas. » déplore-t-il.
Les enfants ont besoin de spontanéité pour se livrer. Il souligne l’importance de la possibilité d’interroger les enfants.
> Selon la loi :
« L’article 40 du code de procédure pénale dispose que : « toute autorité constituée,
tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la
connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au
procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les
renseignements, procès‐verbaux et actes qui y sont relatifs.«
« Par ailleurs, l’article 434‐3 du code pénal dispose que : « Le fait, pour quiconque
ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles
infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience
physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités
judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000
euros d’amende.«
« Dans ce cas, l’article 223‐6 du code pénal dispose que : « quiconque pouvant
empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un
crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient
volontairement de le faire, est puni de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros
d’amende.«
En un mot, cela rejoint la notion de non assistance à personne en danger ou même complicité.
François Bayrou
« Je n’ai jamais été informé de quoique ce soit, pas une seule fois dans ma vie » je ne suis intervenu dans une affaire judiciaire, affirme t-il.
En 1996, il était Ministre de l’Education. Son fils était élève de l’établissement et sa femme y donnait des cours de catéchisme et aurait assisté à des scènes de violence selon une enseignante de mathématiques de l’époque qui demandait à Elisabeth Bayrou : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? ».
François Bayrou prétend ne rien savoir.
Pourtant, le père Carricart a été jugé puis exfiltré vers l’Italie et s’est finalement suicidé. Il s’était rendu chez le juge, Christian Mirande, en charge du dossier. Inquiet pour son fils, ils ont évoqué ensemble Bétharram. Il lui demande ce qu’il s’y passe et d’ailleurs, ce n’est que récemment qu’il apprend que sa fille a été elle aussi violentée.
Pour un père, c’est insupportable et si il avait su, il n’aurait pas envoyé ses enfants là-bas. Rassuré par la présence de leur mère qui y travaillait, comment aurait-il pu imaginer que de telles horreurs s’y produisaient?
L’Assemblée Nationale a ouvert une commission d’enquête.
Paul Vannier
Député LFI, co-rapporteur de la commission Bétharram, en date du 14 mai, demande si François Bayrou maintient n’en avoir rien su. Ce dernier lui répond qu’il fait en sorte que son interlocuteur s’approprie des affirmations qui ne sont pas les siennes.
Le 18 février, François Bayrou évoquait le père Carricart à propos duquel il avait discuté avec le juge Mirande. Paul Vannier conclut que ses connaissances ne sont donc pas seulement liées par la presse comme il le déclarait. Il rétorque que sa formulation est malveillante et ajoute que « même si vous essayez de déformer la réalité, je répète que je n’ai pas eu d’autres informations (…) que celles qui étaient dans la presse. »
Il dit enfin, « votre méthode consiste à tirer la vérité pour pousser un procès en scandale. » et « je n’ai pas le sentiment que la commission était totalement objective.«
La position des victimes
L’entourage ressent la colère, le ressentiment, la rancune (Comment cette personne est-elle capable de telles allégations? C’est un choc.) tandis que les victimes ressentent le désarroi, l’abandon, la résignation, la solitude, l’isolement, le rejet.
Elles ne demandent qu’à être écoutées, entendues, crues et défendues. Des années, voire une vie entière, elles espèrent ce miracle.
Les victimes sont toujours seules et les coupables toujours bien entourés.
Elles luttent en vain. Les autres voient leur colère s’alimenter à force d’entendre parler de l’affaire et se montrent violents et hostiles, agressifs et méchants.
Cela ne peut pas être vrai alors ils réagissent en conséquence.
Les victimes se sentent faibles, impuissantes, toujours ignorées et trahies, usées avec le temps et incomprises. Tabou, le silence est imposé. Les problèmes générationnels n’arrangent en rien la situation tout comme la pression de l’entourage et les tensions de la société. La peur de parler est liée à la crainte des représailles mais aussi à la crainte des réactions de l’entourage.
Il y a des époques où ces choses-là ne se disaient pas.
Les problèmes devaient rester à la maison et se régler en famille, il ne fallait pas le dire en public, c’était une honte que de telles choses aient pu se produire. Dans la mentalité, c’était inconcevable alors c’était forcément une invention, une folie. La parole des enfants n’avait que peu de valeurs et ils n’étaient, par conséquent, pas écoutés, voire même punis.
Personne n’y croit et tous se moquent, taquinent, jugent et critiquent. Les autres vont jusqu’à remettre en question les dires de la victime et la faire douter de sa sincérité. Il y a un manque de bonne volonté et une mauvaise foi entraînant des ricanements. Les victimes sont souvent traitées en coupables. Voilà leur triste destin.
Les personnes haut placées ont des relations utiles et des moyens de pression mais aussi de l’argent. Certains peuvent soudoyer les avocats, acheter le silence de ceux qui pourraient parler.
Machinations et manipulations, les victimes sont mises à l’écart. Un coupable doit être trouvé pour faire cesser les histoires alors un bouc émissaire peut être désigné. Des accusations mensongères visant à se déculpabiliser sont monnaie courante. Il faut étouffer cette affaire qui fait trop de bruits à créer le scandale. Les victimes peuvent faire l’objet de menaces, chantages et pièges. Tout est bon pour les faire taire.
Le combat est impossible et inégal, les difficultés insolubles et les obstacles infranchissables.
Le mouvement, Metoo, a pu ouvrir la voie à des victimes restées longtemps dans l’ombre. Un long chemin reste à parcourir et les préjugés sont encore nombreux mais la société accepte de plus en plus de choses et des associations venant en aide aux victimes se créent. A l’avenir, de nouvelles affaires seront certainement découvertes. La loi du silence côtoie la libération de la parole.


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